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Le fait de refuser de modifier l'objet d'une société peut constituer un abus de minorité

Peut constituer un abus de minorité le refus d’un associé de modifier l’objet d’une SARL exploitant un supermarché afin d’autoriser un changement d’enseigne, lorsque ce refus va à l’encontre de l’intérêt général de la société et qu’il est motivé par simple intérêt personnel.

Circonstances de l’affaire

Dans le cadre d’une franchise participative, une société à responsabilité limitée (SARL) est constituée entre des époux cogérants détenant ensemble 74 % du capital et une société associée minoritaire filiale d’un groupe de distribution à hauteur de 26 % (conférant une minorité de blocage).

Selon les statuts, cette société a pour objet l’exploitation d’un supermarché à une adresse déterminée sous l’enseigne exclusive du seul groupe de distribution, la modification de l’enseigne étant subordonnée a une autorisation des associés représentant plus des trois quarts des parts sociales.

Les associes majoritaires cogérants dénoncent ultérieurement le contrat de franchise et le contrat d’approvisionnement conclus entre la SARL et des sociétés appartenant au groupe de distribution une année avant leur terme conformément au préavis. Quelques mois après, ils proposent au vote de l’assemblée une résolution supprimant de l’objet social la référence à une exploitation sous la seule enseigne du groupe de distribution.

La résolution est rejetée en raison du vote défavorable de la société associée minoritaire. Les associés majoritaires cogérants et la SARL poursuivent alors l’associé minoritaire pour abus de minorité et demandent la désignation d’un mandataire ad hoc avec pour mission de voter au lieu et place du minoritaire.

On sait que le vote d’un associé minoritaire constitue un abus de minorité lorsqu’il est contraire à l’intérêt social en ce qu’il interdit une opération essentielle pour celle-ci, dans l’unique dessein de favoriser les intérêts du minoritaire au détriment de ceux des autres associés. La Cour de cassation applique ici ces critères au cas de la modification de l’objet d’une société créée dans le cadre d’une franchise participative.

Position de la Cour de cassation

L’associé minoritaire prétendait qu’une société n’a de raison d’être et d’intérêt que dans la limite de la poursuite de l’activité définie par l’objet social, de sorte que l’intérêt social ne peut pas commander une modification de l’objet social.

La Cour de cassation écarte cet argument : le refus d’un associé minoritaire de modifier l’objet social peut être contraire à l’intérêt général de la société.

Elle avait déjà jugé que le refus d’un associé minoritaire de voter une modification de l’objet social était abusif, dès lors que cette modification était nécessaire à la survie d’une société dont l’objet était limite à l’exercice d’une activité au sein d’un réseau de commercialisation qu’elle venait de quitter (Cass. com. 19-3-2013 n° 12-16.910).

L’existence d’une société est directement menacée lorsque l’activité pour laquelle elle a été constituée est devenue impossible.

Dans un tel cas, la société est en effet dissoute de plein droit par extinction de son objet social (C. civ. art. 1844-7, 2o). Dans la présente décision, il semble que l’exploitation du supermarché était rendue impossible par la dénonciation des contrats de franchise et d’approvisionnement, lesquels octroyaient à la SARL un droit d’usage sur l’enseigne du groupe de distribution, alors que l’objet social prévoyait que le supermarché devait être exploité sous une telle enseigne. La survie de la société dépendait donc de la modification de l’objet de la SARL.

L’associé minoritaire soulevait par ailleurs un deuxième argument tiré du fait que la SARL s’était trouvée dissoute de plein droit par extinction de son objet social et que cette cause de dissolution ne pouvait plus être régularisée par la modification ultérieure de l’objet social. Il en résultait, selon lui, que la modification statutaire dont il avait empêché l’adoption par son vote défavorable était sans incidence sur la survie de la société qui était irrémédiablement compromise.

On sait en effet qu’en cas d’extinction de l’objet social, la dissolution intervient automatiquement sans que les associes aient à se prononcer sur son bien-fondé. Les associés ne peuvent d’ailleurs pas obtenir en justice de délai pour régulariser la situation en modifiant l’objet social (Cass. com. 3-5-1995 n° 92-18.000). Ils doivent seulement tirer les conséquences de la dissolution et désigner un liquidateur.

Cet argument est également rejeté par la Cour de cassation au motif qu’à la date ou l’assemblée avait statué sur la modification de l’objet social, la SARL n’était pas encore dans l’impossibilité de poursuivre son activité. En effet, la date de prise d’effet de la dénonciation des contrats de franchise et d’approvisionnement, et donc de l’extinction de l’objet social, devait être fixée au terme des contrats, lequel était postérieur à l’assemblée.

L’arrêt de la cour d’appel est censuré en ce qu’il a retenu que le refus de modifier l’objet social ne s’expliquait que par la volonté du minoritaire de préserver le système de franchise participative régulièrement dénoncé par les cogérants majoritaires et ne répondait ainsi qu’à la défense de ses intérêts lesquels se confondaient avec ceux des sociétés du groupe de distribution.

La Cour de cassation suit en effet le raisonnement suivant : la dénonciation des contrats de franchise et d’approvisionnement conduisait à la nécessité pour la SARL de modifier son objet social ; une telle dénonciation des contrats relevait ainsi de l’assemblée générale des associés en application de l’article L 223-30, al. 2 du Code de commerce, ce dont il résultait qu’elle échappait à la compétence des gérants.

Pour autant, la Cour de cassation n’explicite pas les conséquences qu’elle tire de cette dénonciation irrégulière sur l’appréciation de l’abus de minorité.

 

Cass. com. 13-3-2024 n° 22-13.764

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