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Action en contrefaçon : comment se défendre ?

Élément fondamental de l’entreprise, la marque doit être choisie et protégée avec soin. Lorsqu’une infraction est constatée, le titulaire de la marque dispose de deux voies pour obtenir réparation du dommage, l’une au civil, l’autre au pénal. Chacune des deux procédures présente des atouts propres qu’il convient de cerner avant d’entamer une action en justice.

Pour une entreprise, le succès d’une marque a bien sou- vent son revers : la contrefaçon. L’infraction, qui consiste à reproduire ou de façon générale à utiliser une marque, un brevet, un dessin, un modèle ou une œuvre, sans l’autorisation du titulaire des droits, concerne aujourd’hui tout type de produit : habillement, accessoires de mode, téléphones portables, pièces pour automobiles, etc.

Les produits contrefaisants peuvent être repérés simple- ment – déjà par le titulaire de la marque lui-même – sur les étals de marché, dans des magasins, sur Internet ou sur les réseaux sociaux, notamment parce que le lieu de vente est inhabituel, le prix est particulièrement bas, le produit présente des défauts, etc. En outre, la vente de contrefaçons s’accompagne fréquemment d’autres pratiques illicites, comme la publicité commerciale trom- peuse, les infractions aux règles de facturation, etc.

La France est, derrière les États-Unis, le deuxième pays victime d’infractions à la propriété intellectuelle. Selon les chiffres de l’OCDE et de l ’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), la contrefaçon représente 2,5 % du commerce mondial et jusqu’à 5,8 % des importations de marchandises dans l’Union euro- péenne. 11,5 millions de faux produits ont été stoppés aux frontières de la France en 2022. Ils représenteraient près de 10 Md€ de pertes de ventes directes à l’intérieur de nos frontières. La Cour des comptes estime que la contrefaçon détruit près de 40 000 emplois chaque année en France.

Pour l’entreprise titulaire de la marque, la contrefaçon est source de risques. En premier lieu, elle encourt de subir des pertes de revenus. La contrefaçon peut aussi avoir un impact sur son choix de politique de prix. Elle peut désorganiser sa distribution et, à terme, entraîner une dilution de l’attractivité de la marque de l’entreprise si celle-ci est trop copiée.

La contrefaçon appelle donc nécessairement une réac- tion de l’entreprise. Comment peut-elle se défendre ?

 

Mesures provisoires et douanières

La saisie-contrefaçon

Dès lors que la contrefaçon est constatée directement par le titulaire de la marque, ce dernier a la possi- bilité de faire intervenir un commissaire de justice (anciennement l’huissier de justice), qui va établir un procès-verbal de constat d’achat.

Il peut aussi se faire autoriser par le juge à procéder à une saisie-contrefaçon par un commissaire de justice. L’autorisation judiciaire est ici importante parce que la saisie-contrefaçon est un dispositif particulièrement intrusif. En effet, au-delà de la saisie d’exemplaires des produits contrefaisants, le titulaire de la marque est aussi autorisé à accéder à la comptabilité du contre- facteur.

 

La demande d’intervention permanente auprès des douanes

En France, la contrefaçon est surtout constatée par les services douaniers, lesquels disposent d’un pouvoir de contrôle très large, qui peut être spontané, sur tous les lieux de vente, ainsi que dans les zones de fret ou lors de l’interception de véhicules. Ils sont, à ce titre, le bras armé de la lutte contre la contrefaçon.

À titre préventif, le titulaire d’un ou de plusieurs droits de propriété intellectuelle a donc tout intérêt à déposer une demande d’intervention permanente auprès de la douane pour renforcer leur protection. La démarche permet de se prémunir des contrefaçons, même si l’entreprise n’a pas encore connaissance d’atteinte à ses droits, et facilite ainsi leur interception. La demande, qui est gratuite, peut être déposée à tout moment. Elle est valable un an et peut couvrir la France ou l’Union européenne. Le renouvellement est possible, au plus tard 30 jours avant terme.

La demande d’intervention permanente permet à l’entreprise d’être informée rapidement lorsque les douanes repèrent une marchandise suspectée de contrefaire la marque placée sous surveillance. S’ouvre alors une procédure dite de « retenue douanière » (CPI, art. L 716-8 s.), qui équivaut à une mise sous surveillance permanente. Si le titulaire de la marque confirme la contrefaçon, il peut se voir communiquer les informations précises sur la quantité de marchandises en cause retenue par les douanes, l’origine, l’expéditeur et le destinataire des produits.

La retenue douanière court pendant un délai de 10 jours pour permettre au titulaire d’intenter une action judiciaire. Lorsque celle-ci est enclenchée, les marchandises contrefaisantes sont alors bloquées par les douanes pendant tout son déroulement.

 

Bon à savoir

Dans le cadre de la retenue douanière, le titulaire de la marque peut demander la destruction des marchandises en cause. Le procédé est souvent employé, mais il ne faut pas perdre de vue que la destruction se fait aux risques et périls du titulaire de la marque. Sa responsabilité peut être engagée si ultérieurement le propriétaire des produits supposés contrefaisants prouve que ceux-ci sont finalement authentiques. La destruction est donc généralement employée pour des petites quantités et lorsque la contrefaçon est flagrante.

 

Lorsque la partie judiciaire démarre, deux voies sont ouvertes pour le titulaire de la marque. Il peut agir par la voie civile, car la contrefaçon porte atteinte au droit de propriété intellectuelle du titulaire de la marque. Il peut décider d’agir par la voie pénale car la contre- façon est une infraction pénale qui porte atteinte à l’ordre public économique et donne lieu à de sévères sanctions expressément prévues dans le Code de la propriété intellectuelle.

 

L’action civile pour lutter contre l’atteinte au droit de propriété intellectuelle

La bonne foi du contrefacteur est indifférente

L’action civile est déclenchée par la délivrance d’une assignation en contrefaçon devant le tribunal judiciaire. L’exercice est soumis à diverses conditions. Premièrement, il convient de connaître l’identité du présumé contrefacteur pour pouvoir l’assigner en justice, par exemple, le vendeur des articles contrefaisants ou le gérant du magasin où sont vendus ces articles. La tâche peut être délicate lorsqu’on a affaire à un commerce sauvage, avec bien souvent des vendeurs sans papier d’identité.

Deuxièmement, il faut être capable de produire des preuves du caractère contrefaisant des marchandises. Pour certains produits, comme la maroquinerie de luxe, le caractère contrefaisant peut généralement être facile à démontrer, notamment lorsque le titulaire de la marque est confronté à des articles de fabrication grossière. La preuve de la contrefaçon peut dès lors être simplement rapportée par comparaison avec un produit authentique équivalent.

Pour des produits standards, comme par exemple des t-shirts ou des chaussures, la preuve du caractère contrefaisant sera plus exigeante dès lors qu’on est confronté à des productions bien faites et de bonne qualité. Le titulaire de la marque doit être capable de produire des documents de nature à justifier de plusieurs éléments précis qui démontrent la contrefaçon. La démarche est ici parfois délicate à assumer, car, même si le titulaire de la marque doit apporter des preuves du caractère contrefaisant des produits mis en cause, il ne peut pas pour autant dévoiler des extraits de sa charte de fabrication, sauf à fournir le manuel du parfait contrefacteur à venir…

Cette charge de la preuve est essentielle, mais elle est suffisante pour l’action civile. En effet, l’intérêt majeur de cette voie est qu’il n’est pas nécessaire de démontrer l’intention du contrefacteur, autrement dit la bonne foi du contrefacteur est indifférente. La responsabilité du présumé contrefacteur sera donc engagée, qu’il ait eu conscience ou non de faire le commerce d’articles de contrefaçon. Tel est le cas notamment des enseignes de la grande distribution qui peuvent être amenées à acquérir des lots de produits de marque auprès de fournisseurs grossistes dans l’ignorance totale du caractère contrefaisant de ces marchandises. Malgré tout, ces enseignes seront poursuivies et seront légalement responsables d’actes de contrefaçon, en l’occurrence d’avoir offert à la vente et vendu des articles contrefaisants, qu’elles en aient eu conscience ou non.

L’action civile permet également d’obtenir des interdictions immédiates de poursuite de la vente des produits contrefaisants au moyen d’une action en référé. Le titulaire de la marque peut ainsi saisir le juge des référés avant même tout jugement sur le fond du dossier. Considérant qu’il y a suffisamment d’éléments de preuve rendant vraisemblable l’atteinte aux droits du demandeur ou qu’une telle atteinte est imminente, il peut dès lors ordonner la cessation immédiate de la vente des articles contrefaisants.

 

Par la suite, au cours de l’instruction du dossier pro- prement dit, il sera demandé au présumé contrefacteur de communiquer un certain nombre d’informations, notamment sur l’origine des marchandises contrefai- santes, sur l’ampleur des actes de contrefaçon (quan- tités acquises et revendues, chiffre d’affaires, bénéfice réalisé, etc.). Le juge civil peut ainsi ordonner que le contrefacteur produise aussi ses factures d’approvi- sionnement, ce qui permettra au titulaire de la marque de savoir d’où viennent les produits contrefaisants et de prendre toutes les mesures nécessaires qui en découlent. Ce dernier peut ainsi remonter les maillons de la distribution de ces articles contrefaisants et, par la même occasion, assigner en contrefaçon le ou les fournisseurs et les éventuels autres intervenants. Les informations recueillies vont aussi aider le titulaire de la marque à calculer le montant des dommages et inté- rêts qu’il entend demander.

 

Le calcul des dommages et intérêts est encadré

Les règles de fixation des dommages et intérêts sont explicitées par l’article L 716-4-10 du Code de la propriété intellectuelle. Le juge doit prendre en consi- dération distinctement, d’une part, les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée, d’autre part, le préjudice moral causé à cette dernière, et, enfin, les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.

Le même article du Code prévoit toutefois que le juge peut, comme alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Pour lui donner une dimension réellement indemnitaire, la somme ainsi allouée doit être supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte.

Cette somme « n’est pas exclusive de l’indemnisa- tion du préjudice moral causé à la partie lésée » (CPI, art. L 716-4-10).

 

L’action pénale pour lutter contre l’atteinte à l’ordre public économique

Des moyens d’investigation importants

Même si la voie civile est majoritairement utilisée pour poursuivre les actes de contrefaçon, le titu- laire de la marque peut décider d’emprunter la voie pénale. Celle-ci ne doit pas être délaissée, car elle présente des atouts, en particulier lorsque l’identité de

l’importateur ou du vendeur des produits contrefaisants n’est pas connue ou lorsque les quantités des produits importés contrefaisants sont significatives.

L’action pénale se déclenche par le dépôt d’une plainte auprès du procureur de la République. Celui-ci peut diligenter une enquête ou alors classer la plainte sans suite s’il estime qu’il ne dispose pas d’éléments suf- fisants pour poursuivre. Si tel est le cas, le titulaire de la marque peut, au terme d’un délai de 3 mois, renouveler sa plainte, avec constitution de partie civile, devant le doyen des juges d’instruction et forcer ainsi le déclenchement de l’action publique.

Comme pour la voie civile, le titulaire de la marque va avoir à prouver le caractère contrefaisant des marchandises. L’intérêt de la voie pénale est qu’au stade de la plainte, il n’est pas nécessaire d’identifier l’auteur ou les auteurs présumés de l’infraction de contrefaçon. La plainte peut être dirigée contre X et l’un des objets de l’enquête sera justement d’identifier les auteurs de l’infraction. Le choix de la voie pénale peut, par exemple, être pertinent à la suite d’un contrôle de conteneurs par les services des douanes, pour lesquels les documents permettant d’identifier l’origine des produits et les intervenants sont inexistants ou insuffisamment renseignés.

Le second atout de la voie pénale est l’accès élargi aux preuves par les pouvoirs d’enquête du ministère public et du juge d’instruction. La preuve de l’infraction pénale de contrefaçon pèse ici sur le ministère public, qui est néanmoins épaulé par la victime, lequel doit toujours assumer la preuve du caractère contrefaisant des marchandises.

Au cours de l’enquête préliminaire ou dans le cadre de commissions rogatoires, les services de police et le SEJF [Ndlr : créé en 2019, le Service d’enquête judiciaire des finances équivaut à une « police des douanes »] vont pouvoir effectuer des auditions, des visites domiciliaires, des perquisitions, des saisies, des demandes d’information. C’est ainsi qu’un simple constat sur un marché peut finalement révéler l’existence d’un réseau international de sociétés très structuré et dédié à la contrefaçon.

Signalons à ce stade un autre atout de la voie pénale : un coût moindre, le titulaire de la marque n’ayant pas à assumer tous les frais d’un procès qu’il mène seul dans le cadre de l’action civile.

 

La nécessité de démontrer le caractère intentionnel

Ces pouvoirs d’enquête sont d’autant plus essentiels qu’ils permettent de répondre à un prérequis important en matière pénale : démontrer le caractère intentionnel de l’infraction. Autrement dit, à la différence de l’action civile, il faudra démontrer que les personnes qui se sont livrées au commerce d’articles contrefaisants savaient ce qu’elles faisaient. L’enquête doit contribuer à cette fin.

La preuve du caractère intentionnel peut naturellement résulter de la reconnaissance de l’infraction par l’auteur lui-même. Elle peut aussi provenir de faits établis lors de l’enquête, tenant par exemple à l’organisation de l’importation des marchandises, au rôle de chacun des membres du réseau, etc. Les flux bancaires enregistrés sur les comptes des uns et des autres, l’appréhension de documents de transports peuvent également aider à établir la matérialité des faits et à démontrer l’intention des contrefacteurs de commettre l’infraction.

 

Il est important de souligner que le titulaire de la marque, en qualité de partie civile a accès au dossier pénal. Par conséquent, il voit les mesures d’enquête qui sont réalisées et il peut lui-même contribuer aux investigations en demandant certaines mesures d’ins- truction qui lui sembleraient opportunes.

 

Des sanctions pénales lourdes et des dommages et intérêts

Sur le plan pénal, l’infraction de contrefaçon expose le contrefacteur à de lourdes peines. Le code de la propriété intellectuelle prévoit une peine pouvant aller jusqu’à 4 ans d’emprisonnement et 400 000 € d’amende pour le délit de contrefaçon de marque. En cas de circonstances aggravantes, ces peines peuvent être portées à 7 ans d’emprisonnement et 750 000 € d’amende (CPI, art. L 716-9).

 

Des peines complémentaires peuvent être prononcées, telles que la fermeture de l’établissement à l’origine de la contrefaçon ou encore des mesures d’affichage du jugement (CPI, art. L 716-11 s.). Enfin, objectif majeur naturellement recherché par les titulaires de marque : les marchandises contrefaisantes sont détruites (CPI, art. L 716-13).

 

En tant que partie civile, le titulaire de la marque peut demander l’indemnisation de son propre préjudice par l’allocation de dommages et intérêts. L’évaluation de ces dommages et intérêts est, en principe, établie selon la même méthode suivie lors de l’action civile. Toutefois, selon la jurisprudence, il semble que globa- lement la partie civile perçoit moins de dommages et intérêts au pénal qu’au civil. Cette moindre générosité du juge pénal peut s’expliquer par le fait que l’indem- nisation de la partie civile s’ajoute aux peines pénales requises par le ministère public, étant entendu que les douanes, impliquées également dans la procédure, se voient aussi allouer une indemnisation.

 

© Lefebvre Dalloz